Philippe Vukojevic 19.09.2024
Les échecs pour sortir de la misère… cela aurait pu facilement être un thème du Global Chess Festival organisé pour la 10e fois par Judit Polgar hier et avant-hier, mais c’était la réalité après la Première Guerre mondiale. Le 6 novembre 1921, la Fédération hongroise des échecs MSSZ a été fondée à la Chambre de l’industrie et du commerce de Budapest (rue Szmere V, 6) et elle représentait les 10 clubs d’échecs que comptait Budapest à l’époque. Au cours des 103 dernières années, le siège changera d’adresse quelque 16 fois au sein de la capitale hongroise.
En tout cas, cette année-là marque le début d’une série de grands tournois, dont le premier s’est déroulé dans la salle de concert de Gellért-Bades. C’est là qu’Aljechin, le futur vainqueur du tournoi, aurait joué pour la première fois la défense qui porte son nom.
En 1924, sous la direction du président de la fédération d’échecs Istvan Abonyi, la Hongrie fait partie des 15 pays qui vont fonder la FIDE à Paris. Ce président avait – soit dit en passant – déjà gagné ses galons aux échecs une dizaine d’années plus tôt en analysant la défense de Budapest (on ne parle pas de gambit ici) avec Breyer et Barasz, et Maroczy avait testé ces analyses avec succès lors d’une célèbre partie de 1918 contre Rubinstein.
Abonyi allait également mettre la Hongrie sur la carte grâce à d’autres tournois : Györ 1924, Debrecen 1925, Kecskemét 1927. Il faut également mentionner ici les noms de Laszlo Toth (1895-1964) et Ferenc Chalupetzky (1886-1951) qui organisaient la scène échiquéenne à la campagne, mais qui étaient aussi d’infatigables écrivains d’échecs. Leurs livres sur les tournois, y compris sur les tournois susmentionnés, et leur travail éditorial pour Magyar Sakkvilag (de 1922 à 1950) sont d’une valeur inestimable pour le monde des échecs.
Budapest continue d’organiser des événements : en 1926, même la deuxième olympiade (non officielle) d’échecs où… quatre équipes participent et où les Hongrois se montrent les plus forts. Autre nouveauté : le tournoi féminin hongrois qui se déroule en même temps que l’Olympiade à l’hôtel Gellért. On dit que les spectateurs – fascinés par ces dames – leur chuchotaient les coups, mais nous y reviendrons plus tard.
La même année, Grünfeld remporte un tournoi, et à partir de 1928, Capablanca viendra régulièrement gagner des tournois à Budapest. L’âge d’or des échecs en Hongrie prendra fin en 1934 avec le tournoi d’Ujpest, où le vainqueur de 23 ans, Andor Lilienthal (sur lequel Quality Chess vient de publier le livre “Chess Survivor”), met fin à l’invincibilité de Capablanca.
Mais avant de compléter l’histoire de Budapest, j’aimerais faire un saut dans le présent. D’accord, le nombre de participants est légèrement plus élevé aux Olympiades de 2024 qu’à celui en 1926, et l’équipe locale ne remportera sûrement pas l’épreuve cette année. Les mesures anti-tricherie semblent ici aussi rendre toute tricherie impossible : vous avez peut-être déjà lu que deux joueurs ont déjà été pris en train de ” tricher “, même si cela n’est pas perçu ainsi ici. L’un aurait eu une carte sim, l’autre une montre analogique. Toutes mes félicitations à ce deuxième joueur, d’ailleurs : comment a-t-il fait pour passer trois scans électroniques sans que sa montre ne soit détectée ? Ce n’est que tard dans la partie qu’un arbitre a remarqué la montre : en effet, en réfléchissant à son coup, le joueur avait retroussé ses manches puis – coudes sur la table – soutenu sa tête avec ses mains. Ceux qui veulent vraiment tricher n’afficheront pas leur “dispositif” aussi ouvertement, me semble-t-il.
Au passage, on m’a moi-même demandé d’expliquer la présence de mes cartes dans mon portefeuille : clé de l’hôtel, carte Delhaize, pièce d’identité, permis de conduire et cartes bancaires…. Heureusement, je n’avais pas de carte SIM sur moi.
Malgré le grand spectacle “fair-play “, je me suis fait la réflexion que la tricherie ici peut facilement se faire à l’ancienne : en chuchotant. Beaucoup d’entraîneurs et de joueurs se chuchotent certaines choses : un bonjour, un comment-va-la-famille, un ça-fait-longtemps-qu’on-s’est-vus, un tu-sais-qui-je viens-de-rencontrer… Et un as-tu-déjà-envisagé-Cg4 est un peu moins innocent, mais dans de nombreux cas – étant donné le niveau de nombreux joueurs – ce type de conseil ne devrait pas apporter un avantage décisif. Les amateurs qui se chuchotent se font d’ailleurs rapidement réprimander par les nombreux bénévoles en tenue orange dans la salle de jeu, mais avec les dieux du stade, c’est un peu différent. Il y a quelques jours, par exemple, Carlsen est entré dans la salle de tournoi sans sa “green card”, la carte d’entrée des joueurs, et il n’a pas dû attendre à ce que le capitaine la lui apporte. Et les chuchotements entre les grands sont également tolérés un peu plus longtemps que ceux entre nobles inconnus. C’est étrange, non ? Parce qu’avec Radjabov, Kramnik, Sokolov et Gourévitch, on a des capitaines ici où on prêterait tout naturellement un peu plus d’attention lorsqu’ils diraient: as-tu déjà envisagé Cg4 ?
39.Cg4 – un coup qui n’a pas été chuchoté par le capitaine, d’ailleurs – Sim aurait mieux fait de ne pas le jouer, car après cela, il n’a plus eu le temps de s’en sortir à la Houdsimie. Avec Mher, tout s’est déroulé comme prévu : une erreur a été rapidement sanctionnée, mais bien qu’il se soit compliqué les choses en fin de partie en perdant son pion a, il a remporté la partie. C’est un peu le même scénario chez Lennert : quelques erreurs de l’adversaire sont sanctionnées. Seulement, Lennert n’a pas fait revenir son adversaire dans la partie. Eh bien, une avance de 2-1 avec seulement Thibaut en train de jouer, mais après 39…b4, il était à craindre que Thibaut retourne à la maison les mains vides à nouveau. Heureusement, la partie a connu un autre changement d’intrigue et d’une pièce de retard, il s’est finalement retrouvé dans une finale gagnante. Le soupir de soulagement de Thibaut était audible à cinq kilomètres de là, à l’hôtel Intercontinental où se déroulait le Sommet éducatif des échecs. Un beau score de 3-1 de la part d’une équipe sans Daniel. Va-t-on vers une brillante deuxième moitié de tournoi ?
Chez les dames, il y avait de très mauvaises nouvelles avant même que le premier coup ne soit joué : Diana a été hospitalisée pour une infection le soir du jour de repos. L’équipe devra donc en principe terminer la deuxième moitié du tournoi avec le même quatuor. Nous souhaitons d’avance à Diana un prompt rétablissement !
Les équipes faibles en Elo n’avaient pas posé trop de problèmes jusqu’à présent, mais il était clair que les choses pourraient être différentes contre la Nouvelle-Zélande. Hanne a perdu un pion, même si ce n’était certainement pas dramatique : elle a pu activer ses pièces. Avec ses tours sur deux lignes ouvertes et un splendide cavalier sur d5, elle a pris le dessus sur la position blanche et la fin était presque une position ” Zugzwang ” parfaite malgré la présence de la tour et de la dame et encore de nombreux pions. Pour elle aussi, la période de disette s’est donc terminée et nous pouvons envisager la deuxième moitié du tournoi avec le sourire.
Sarah avait sanctionné une erreur de son adversaire, mais les imbroglios tactiques qui ont suivi ont donné à son adversaire une compensation incroyable. Et comme Sarah n’est pas un ordinateur, elle a perdu son matériel en retour. Un match nul semblait probable jusqu’à ce que Sarah commette une nouvelle erreur, mais heureusement, son adversaire a préféré défendre son pion a5, plutôt que de l’abandonner et de laisser sa paire de pions sur les colonnes d et e avancer vers une victoire. Nulle.
Avec Daria et Tyani aussi, un match nul semblait se profiler.
Dans la partie de Tyani, les deux joueuses ne faisaient que pousser du bois, tantôt par ici, tantôt par là. Un petit échange par ici, un petit échange par là et la position avait toujours été égale. Seulement, dans la phase du Zeitnot, au coup 39, l’adversaire donna un échec stupide avec son cavalier et bien que Tyani – également en manque de temps – n’ait pas immédiatement trouvé le meilleur coup, elle a obtenu une deuxième chance au coup 40. C’est alors qu’elle l’a vu. Le cavalier blanc s’était mis dans le pétrin car le nombre de cases disponibles était devenu minime et le pauvre animal allait finir par être coincé à l’aile-roi. Le pion passé que la Néo-Zélandaise avait créé à l’aile-dame est arrivé trop tard, car Tyani a pu facilement l’arrêter avec son cavalier. Cela fait 5 victoires d’affilée pour Tyani, 6,5/7 au total et la deuxième meilleure perf de tous les Belges (seul Daniel Dardha fait mieux).
Avec cette victoire, le match était gagné et on pouvait espérer plus. Daria avait fait pression tout au long du match et elle avait constamment eu un léger avantage. Elle a (malheureusement) transposé à une finale de tours car elle allait gagner un pion. Ce ” malheureusement ” est là pour deux raisons : d’une part, elle aurait pu rendre la finale encore plus favorable en activant un peu plus son roi et en brisant un peu plus la chaîne de pions de son adversaire. D’autre part, malgré le pion en plus, la finale de tours n’était pas vraiment gagnante. Au contraire, l’adversaire a pu activer sa tour, et Daria allait donc devoir jouer très prudemment pour la sauver. Mais après à nouveau plus de 4 heures de jeu, ce n’était pas si évident, et elle a fini par perdre.
Peut-être aurions-nous pu avoir plus de points, mais avec deux victoires d’équipe, nous pouvons vraiment être satisfaits. Aujourd’hui attend la 2e équipe hongroise pour les hommes, l’Autriche pour les femmes.
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